©Nilufer Demir la photo d’Aylan Kurdi

©Nilufer Demir
la photo d’Aylan Kurdi

 

Guerre de l’information : la photo d’Aylan Kurdi et son impact sur le débat public

Tous les médias traditionnels occidentaux ont pris position en faveur de l’accueil des « réfugiés » syriens à la suite de la diffusion de la photo du corps du petit Aylan, retrouvé mort sur une plage de Turquie après le naufrage de l’embarcation qui devait faire passer sa famille en Grèce.

La diffusion de la photographie du corps de l’enfant a-t-elle été rationnellement pensée par les médias comme un moyen de faire basculer l’opinion publique en faveur d’un accueil massif des « réfugiés » ? Le journal Le Monde, dans un article intitulé « Pourquoi nous avons publié la photo du petit Aylan », explicite la genèse du choix opéré par la rédaction et le but recherché en termes d’influence de l’opinion publique. La première raison, comme souvent, tient d’abord du conformisme des médias de masse :

« C’est en voyant en début de soirée la “une” du journal britannique The Independent que Luc Bronner, directeur de la rédaction, est alerté par l’importance de cette photo. De nombreux journaux européens reprennent cette image en “une”

[…] »

Cet extrait illustre parfaitement la règle de la circulation circulaire de l’information à l’heure des médias de masse : si les autres médias choisissent de traiter ou de diffuser une information, cela valide rétrospectivement son importance et son statut informationnel. Par effet boule de neige, tous les médias s’emparent donc du sujet.

La décision est donc prise dans les heures qui suivent par le journal Le Monde, de publier la photo. Cette publication poursuit également un but d’influence de l’opinion publique et constitue une « prise de position ». Publiée en « Une » de l’édition du Vendredi 4 septembre, elle est accompagnée d’un éditorial, qui engage l’ensemble de la rédaction :

« Cette photo, terrible, est en elle-même une prise de position, estime Luc Bronner, et il fallait expliquer pourquoi nous la publions. »

La raison de cette publication est donnée plus bas dans le même article du Monde : il s’agit d’influencer les dirigeants politiques en pleine discussion sur le traitement à apporter à cette crise migratoire :

« […] il est aussi apparu à une partie de la rédaction que le moment est venu de regarder et de montrer en face la tragédie qui se joue à nos frontières et que le moment est crucial, comme les discussions entre dirigeants européens le montrent. Il s’agissait de donner à cette image une importance à part. »

Dans un article daté du jeudi 3 septembre, le journal Libération interroge le photojournaliste Alain Mingam, lauréat du World Press, sur l’impact de cette photographie, sous le titre : « Cette photo ne peut qu’interpeller notre lâcheté »

Le journal s’interroge ainsi : « Cette photo peut-elle faire basculer l’opinion ? » qui était jusqu’à présent opposée à l’accueil massif de réfugiés, et Mingam de répondre :

« Je l’espère. Les images ont un poids nécessaire pour agir sur l’opinion, sur les gouvernements. »

A l’origine de cette campagne, on trouve le journal britannique The Independent, qui le premier, publie la photo le jeudi 3 septembre en « Une » avec le titre :

« Si cette photo d’un enfant syrien mort balayé par les vagues sur la plage ne change pas l’attitude de l’Europe à l’égard des réfugiés, qu’est-ce qui y parviendra ? »

Le vendredi 4 septembre, le journal belge Le Soir publie également la photographie avec un chapeau explicite : « La photo révoltante d’Aylan, ce garçonnet devenu cadavre sur une plage en Turquie, pourrait-elle faire changer l’opinion publique sur la cause des migrants ? »

On le voit donc, la décision prise par les grands quotidiens européens de publier la photo du petit Aylan répond à un but assumé explicitement d’influencer l’opinion publique en faveur de la « cause des migrants ». Il s’agit ainsi d’une campagne de communication à l’échelle du continent qui illustre la mise en place d’un système de propagande à l’échelle européenne.

Les résultats ne se font pas attendre, et en France, la chaîne d’information en continu BFMTV publie dans les jours qui suivent un sondage qui témoigne du retournement de l’opinion publique : alors qu’une semaine auparavant, seules 44% des personnes interrogées se déclaraient favorables à l’accueil des « réfugiés syriens », elles sont désormais 53% à partager cette opinion. L’institut de sondage explique que : « Cette progression de 9 points en l’espace d’une semaine, rarement observée sur une aussi courte période dans les enquêtes d’opinion, témoigne de l’émotion suscitée par la photo d’Aylan Kurdi et de son impact sur le débat public en France. »

Une série de décisions politiques vont accompagner ce renversement de l’opinion publique, dont l’annonce de l’accueil par la France de 24000 réfugiés par le président François Hollande, le lundi 7 septembre.

Dans l’émission de la chaîne Itélé du vendredi 11 septembre, « Ce Qu’il Fallait Décrypter », le retournement de l’opinion est également analysé dans le basculement de l’usage lexical du terme « migrants » sur les réseaux sociaux en faveur du terme « réfugié », connoté positivement.

Plus important, ce retournement de l’opinion publique en faveur de la « cause des réfugiés » a débouché sur une réactivation de l’option militaire des frappes aériennes contre l’Etat Islamique en Syrie par la Grande-Bretagne et la France.

Le lundi 7 septembre, le président François Hollande annonçait ainsi que l’armée française allait effectuer des vols de reconnaissance dans l’optique de mener des frappes aériennes en Syrie.

Selon la BBC, le gouvernement britannique envisagerait également de mener des opérations de frappes aériennes sur le modèle de celles effectuées par la coalition internationale en Irak.

Une campagne aérienne contre l’Etat Islamique en Syrie aurait pour première conséquence l’instauration de fait d’une « no fly zone » dans le pays, sur le modèle de celle imposée en Libye en 2011 et qui avait permis aux groupes armés soutenus par la coalition occidentale de renverser Mouammar Kadhafi en profitant de la couverture aérienne occidentale.

Cette campagne, si elle voit effectivement le jour, sera probablement menée sous commandement et supervision américaine comme c’est déjà le cas en Irak, malgré des résultats très limités. Selon le journal en ligne Moon of Alabama, elle servirait de prétexte, comme ce fut le cas en Libye, pour favoriser la progression des groupes rebelles soutenus par les pays de l’OTAN et accélérer la chute du gouvernement de Bachar-al-Assad. L’idée d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie n’est en effet pas nouvelle et est réclamée depuis deux ans avec insistance par la Turquie, qui soutient par ailleurs les groupes djihadistes opérant le long de sa frontière. Selon le journal turc Hurriyat, les Etats-Unis et la Turquie seraient tombés d’accord dès juillet dernier pour l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne le long de la frontière turco-syrienne, officiellement pour bombarder les positions de l’Etat Islamique. Cependant, le régime autoritaire du premier ministre Erdogan a d’ores et déjà profité de l’accord trouvé avec les Etats-Unis pour mener plusieurs séries de raids aériens contre les combattants kurdes qui sont pourtant la principale force luttant contre l’Etat Islamique sur le terrain. Depuis juillet, l’offensive de l’armée turque aurait ainsi fait plus de 2000 morts parmi les combattants kurdes.

L’instrumentalisation de la mort du petit Aylan servirait ainsi le jeu trouble de la coalition occidentale opérant en Irak et souhaitant élargir son action militaire en Syrie pour en finir avec Assad, officiellement dans le but de lutter contre l’Etat Islamique qu’elle a pourtant largement contribué à former. La crise des « réfugiés », dont la majeure partie résidait d’ailleurs en Turquie, et la mobilisation des opinions publiques, seraient ainsi utilisées comme prétexte à une escalade militaire du conflit en Syrie, dont l’objectif géopolitique est le renversement de Bachar-al-Assad et la balkanisation du pays.

Guillaume Borel | 12 septembre 2015

Source Les Moutons enragés

C’est à Nilufer Demir, une photographe de 29 ans, que l’on doit la série de photos d’Aylan Kurdi qui a fait le tour du monde. La photo montre le corps d’un enfant syrien de 3 ans mort noyé avec son frère et sa maman suite au naufrage du bateau avec lequel cette famille tentait de rejoindre clandestinement l’Europe.

Témoignage de la photographe Nilufer Demir.

« Je me suis dit que je pouvais témoigner du drame que vivent ces gens »

La photographe travaille pour l’agence turque DHA, qui a proposé ensuite la série de clichés aux grandes agences internationales (AFP, Reuters et Associated Press). Dans une interview au Monde, Nilufer Demir confie avoir été « très choquée » en découvrant le petit corps sur la plage de Bodrum. « La plage de Ali Hoca Burnu est une plage à l’écart de Bodrum. C’est un endroit d’où partent souvent les migrants, donc avec d’autres photographes, on y va chacun son tour pour voir ce qui se passe. Hier, c’était mon tour… Quand je suis arrivée le matin, vers 6 ou 7 heures, il y avait un groupe de Pakistanais. Je les ai rejoints et nous avons aperçu, un peu plus loin, quelque chose échoué sur la plage. En nous approchant, nous avons vu que c’était le corps d’un enfant« , raconte-t-elle.

La jeune femme explique avoir hésité quelques minutes avant d’appuyer sur son appareil. « Je me suis dit que je pouvais témoigner du drame que vivent ces gens. Il fallait que je prenne cette photo. (…) Et aujourd’hui, j’ai un mélange de tristesse et de satisfaction… Je suis contente d’avoir pu montrer cette image à autant de gens, d’avoir témoigné, mais d’un autre côté, je préférerais que ce petit garçon soit encore en vie et que cette image ne fasse pas le tour du monde« , déclare-t-elle en reconnaissant ne pas avoir réalisé sur le moment quel serait le retentissement de cette série de clichés, surtout qu’elle avait déjà pris plusieurs photos de migrants morts sur les plages de son pays.